Goebbels/Glass/Radigue
N°20/58 est une pièce d’Heiner Goebbels écrite pour Erwan. On y retrouve la curiosité de ce compositeur pour la présence scénique de l’interprète ainsi que son envie de travailler la perception des sons autant que les sons eux-mêmes. Ainsi, N°20/58 est une pièce écrite pour un sonneur en mouvement.
Elle fût crée en extérieur dans un lieu choisi par Heiner, Erwan se rapprochait du public dans une lente montée à pied qui physiquement mettait son corps d’interprète à l’épreuve. La musique révélait progressivement l’espace public en le faisant sonner grâce à la puissance connue de la cornemuse.
Puis, le compositeur et le musicien ont cherché ensemble une adaptation pour un public assis dans une salle fermée. Le sonneur se retrouve alors à nouveau dehors, à l’extérieur de la salle, pour commencer à jouer. A lui de trouver ensuite comment se rapprocher des oreilles qui l’écoutent et restituer cette pièce pour chaque lieu et chaque public. La citation de deux Arias de Bach, liées entre elles par une multiplication de trilles, lui offre une partition qui balise son chemin.
Eliane Radigue, à l’inverse, a eu l’envie, en découvrant cet instrument, de contenir le volume sonore de la cornemuse pour imposer un rapport intimiste et délicat qui caractérise son travail. Il n’est plus question de composition dans un mouvement ample mais d’écriture pour révéler un espace réduit grâce à des sons tenus et les harmoniques qui se révèlent. Erwan est assis sur une chaise quasi statique et très proche du public.
Eliane continue à chercher avec cette pièce selon ses mots « un univers sonore dans son intégrité, celui dans lequel chacun, celui ou celle qui écoute, peut entendre, trouver, retrouver, créer sa propre musique intérieure, se laisser bercer et voyager sans fin.»
Two Pages écrit par Philip Glass est une pièce initialement imaginée comme un continuum au piano. En la transposant pour sa cornemuse, Erwan joue avec l’amplitude qu’il trouve entre le souffle continu permis par la poche et les bourdons, et la vélocité de ses doigts. Two Pages devient alors une partition qui permet de travailler son instrument largement. Le son de la cornemuse prend tout l’espace jusqu’à en devenir obsédant, obsédant jusqu’à s’arrêter net, pour surprendre encore une dernière fois.
OCCAM XXVII d’Eliane Radigue, pour cornemuse
Quand Erwan demande à Eliane comment elle a appréhendé la cornemuse dans son travail.
Voici sa réponse :
"Lorsque tu m’as contacté pour cette aventure, c’est je crois d’abord le côté “défi” qui m’a interpellé : Cornemuse, Bagad, cornemuseux de Bretagne ou d’Ecosse, ou Sonneurs, le peu que j’en connaissais me semblait quelque peu éloigné de mon univers sonore.
Puis j’avoue que plusieurs de nos amis communs, éminents musiciens m’ont tellement chaleureusement parlé de toi, que le défi m’a encore un peu plus tenté, à moins que cela n’ai contribué à en diminuer les craintes. Pas sûr. J’aime bien les défis qui m’obligent à sortir de mes propres routines.
Jamais, jamais je n’aurais cru cependant que ce serait allé aussi loin.
Comment ? Fini ou presque les pianissimo, les mezzo forte plus mezzo que forte dans cette infinie richesse de pulsations, harmoniques, battements, dansants, virevoltants dans un espace infini vibrant du plus profond de l’espace et de l’être.
La poésie submergeante de quelques arrières plans de douces mélodies, une sublime harmonique émergeant comme un autre cadeau... Whaouh !!!
Premier éclat de notre deuxième rencontre. Pas de doute, ça ira.
Ce n’était plus un défi, mais un cadeau et quel cadeau !
L’Univers Sonore dans son intégrité, celui dans lequel chacun, celui/celle qui écoute peu entendre, trouver, retrouver, créer, sa propre musique intérieure, se laisser bercer et voyager sans fin.
Un court pianissimo (quand même !) pour commencer, préparer à l’aventure et puis le nécessaire accompagnement final pour redescendre sur terre en de-crescendo et reprendre pied.
Quel instrument ! Quel instrumentiste ! Mais surtout quelle richesse dans cette fusionnelle unité, ce mystère qui transforme et donne vie à l’ineffable.
Merci Erwan... pour toute cette magie.
Eliane Radigue (mars 2019)