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Activités \ Musique écrite, Performance

IN C // 20 SONNEURS

Pour « Goebbels/Glass/Radigue », mon dernier programme en solo, j’ai adapté Two Pages de Philip Glass. C’était la première fois que je m’attaquais à une œuvre de musique minimale. Cette musique demande de répéter longuement des patterns (formules musicales courtes). La cornemuse se prête particulièrement à l’exercice grâce au souffle continu produit par la poche. Plus encore, cette musique est basée sur une sorte d’envoutement généré par la continuité, c’est la raison même de l’existence du bourdon de la cornemuse. La cornemuse est donc un terrain de jeu idéal pour cette musique si tant est que l’on trouve l’œuvre qu’elle peut jouer.

Terry Riley est une des figures importantes de la musique minimale américaine. In C est parfois présentée comme une pièce initiatrice de ce courant musical. Quand on parle d’In C, on peut parler de répertoire tant cette pièce est connue, jouée et montée. C’est, d’ailleurs, une raison de mon intérêt à faire cette production, c’est parce qu’elle est connue et beaucoup jouée qu’on doit la présenter par des sonneurs…

IN C // 20 SONNEURS intègre des bombardes, binious, trélombardes (ou bombarde ténor), des cornemuses. Sont ajoutées à cet instrumentarium : la veuze (cornemuse du marais breton) et une nouvelle lutherie : la bombarde baryton, spécialement développée pour l’occasion par l’atelier de Tudual Hervieux et Jorj Botuha.

Les vingt sonneurs forment un cercle entourant le public. Ils sont répartis pour que les bourdons des cornemuses créent une enveloppe. La composition par patterns permet de penser chaque musicien, à la fois, comme un soliste et un élément de l’ensemble.

Vingt estrades délimitent ce cercle laissant un espace de passage permettant une mobilité du public. Chacun peut alors choisir librement comment il veut écouter, vivre ce moment : debout, assis, allongé, à l’intérieur ou l’extérieur.

 

C’était cette semaine au 104, on remontait les couloirs comme aimanté par le son. Arrivé dans le grande nef, on dépose le sac et on découvre 20 musiciennes, musiciens en cercle, on nous fait signe d’entrer dans l’espace. Le son qu’on avait d’abord suivi comme une rumeur magique, se révèle très fort et vient littéralement nous habiller. La musique tourne autour de nous, imprime un balancement involontaire et difficile à réprimer. On entend des cordes et on sait qu’il n’y en a pas. On entend de la lumière alors qu’on a les yeux fermés. Impossible de dire depuis combien de temps, on est là. Mais possible de dire qu’on ne voudrait pas que ça s’arrête.

France Culture, Marie Richeux, Par les temps qui courent, sept. 2022

L'interprétation de la pièce In C de Terry Riley au 104 par vingt sonneurs sous la houlette d'Erwan Keravec fut absolument vertigineuse. Les musiciens perchés sur des estrades entouraient le public médusé. Certains avaient fini par s'asseoir en tailleur, d'autres tournaient autour, à l'intérieur ou à l'extérieur du cercle, comme si la nef était un stūpa. Il abritait en effet une relique, puisque In C, composée en 1964, est considérée comme la première œuvre du courant minimaliste américain que nous appelions alors répétitif. J'en connaissais une bonne vingtaine d'interprétations, mais celle-ci fut particulièrement magique, sorte de monstre tellurique où les bombardes aiguës, les cornemuses, les bombardes barytons créées pour l'occasion, les sirènes varésiennes enveloppaient les spectateurs hypnotisés par ce bagad aux accents contemporains...
Erwan Keravec réussit à sortir la cornemuse et le bagad de leur environnement traditionnel sans trahir les sources, racines qui n'en finissent pas de grandir jusqu'à rejoindre le futur.

Blog Médiapart, Jean-Jacques Birgé, sept. 2022

Erwan Keravec et sa petite armée de sonneurs font le pari complexe d'extraire l'essence sonore de cette instrumentation aux consonances celtiques. Il en résulte une pièce de 50 minutes où les phrases musicales des uns ou des autres entrent en résonance, tombent en cascades ou se répandent dans l'atmosphère en un écho subtil. Une orchestration savamment ciselée où la celtitude sonore s'évapore comme neige au soleil, sans toutefois totalement disparaître. Un instant rare, chavirant, enivrant...

Ouest-France, Pierre Wadoux, juin 23

20 sonneurs pour Terry Riley

Erwan Keravec s’attaque au monument de la musique minimaliste américaine, In C de Terry Riley (1964), en réunissant une grande diversité d’instruments traditionnels dans une scénographie immersive. Vingt sonneurs en cercle se partagent cornemuses, veuzes, bombardes, binious, trélombardes et bombardes baryton, un instrument spécialement développé pour le projet. Pour le public lorientais, au centre du dispositif ou déambulant librement aux alentours, l’effet est saisissant et spectaculaire.

C’est encore dans le soleil du soir que commence à résonner l’œuvre de Terry Riley en ce mardi 6 juin à 20h, sur le parvis du Grand Théâtre de Lorient. Très vite, la pâte sonore se densifie et la richesse des jeux spatiaux se révèle. Très vite, les auditeurs apprennent à dompter leur perception, à jouer de leurs déplacements ou à fermer les yeux pour se laisser porter. Cette œuvre invite en effet le public à se faire librement créateur de sa propre écoute.

Les séquences courtes d’In C se succèdent, avec leurs décalages caractéristiques, leurs effets de canons, d’échos ou de contours fantomatiques alors qu’une extase générale saisit progressivement les spectateurs, plongés au cœur du processus. Tour à tour, les différents musiciens, synchronisés par un clic au casque, prennent les commandes des changements de patterns par leurs signes. Lentement, la pâte sonore se modifie, s’enrichit, se métamorphose, et un tourbillon sonore complexe se met en place.

Bientôt, les sens sont trompés, on imagine des traitements par des effets électroniques, de la synthèse et une spatialisation via l’amplification. Il n’en est rien, car tout est acoustique, et le mode d’emploi des petites séquences qui s’enchaînent est limpide, évident à comprendre, il n’y a qu’à regarder et écouter. Pourtant, les effets sont puissants et tactiles : une parfaite illustration du minimalisme.

Erwan Keravec ajoute quelques éléments à l’œuvre de Terry Riley, qui l’enrichissent : l’apparition de sirènes et, à plusieurs reprises, le battement des pieds des sonneurs, qui la rattache à la tradition dansée de la musique bretonne. Ces trouvailles ne trahissent en rien l’œuvre originelle. Les battements emportent même certains spectateurs vers une réception corporelle de l’œuvre.

Alors que le dernier sonneur passe dans l’ombre, de manière quasi-synchronisée, un hasard magique du moment, la pièce s’achève brusquement, laissant le public dans un silence soudain, bientôt comblé par un long applaudissement enchanté et chaleureux, qui ne sonne plus du tout habituel aux oreilles après cette longue expérience.

L’instrumentarium déployé par Erwan Keravec prouve une fois de plus qu’In C est un jalon fondamental de l’histoire de la musique, une grande œuvre capable de s’enrichir à chaque nouvelle interprétation. Le pari est gagné, les sons des cornemuses et des binious se prêtent parfaitement à cette nouvelle lecture intense, et le sonneur breton pose un jalon supplémentaire dans l’intégration de ces instruments traditionnels au cœur des langages musicaux contemporains.

ResMusica, Guillaume Kosmicki, juin 23

Campo Santo d’Orléans : vingt sonneurs emballent l’audience
mercredi, 24 mai 2023

Proposé par la Scène nationale, un concert au Campo Santo faisait résonner, mardi soir, In C, morceau fondateur de la musique minimaliste écrit par Terry Riley. Erwan Keravec, bien connu à Orléans, s’est emparé de cette musique et un ensemble de vingt sonneurs a emmené un public conquis très loin dans les nuages. Lieu exceptionnel, musique d’exception, soirée mémorable…

Grand ciel bleu sur le Campo Santo mardi soir, lorsque le public est entré alors que commençait la musique. Vingt sonneurs, qu’ils jouent de la cornemuse ou de la bombarde, installaient une musique peu habituelle. Comme si des grillons s’étaient cachés dans la pelouse. Hauts, répétitifs, on avait cette impression de silence quand ils cessaient soudain. Un par un, parce qu’en fait, chacun des vingt musiciens s’arrêtait quand il voulait, donc jamais en même temps que le voisin.

Une vibration qui devient une expérience
Musique à flux continu donc. Et musique qui inclut le hasard. Chaque musicien répète un petit thème au rythme qui lui convient. Et les interférences entre eux créent un son commun, comme une vibration du groupe, une oscillation sonore prenante. Le public est au centre du cercle, au centre du son qui lui arrive de partout. Un son trois D, un son spatial même, une expérience. Le public bougeait dans le cercle, ou autour, ou restait immobile, traversé par cette onde sonore forte et aiguë qui changeait de forme et proposait des moments différents. Les grillons devenaient ces nuages d’étourneaux qui dessinent dans le ciel des volutes changeantes, qui eux-mêmes faisaient place à la jungle. Des barrissements, des piaillements, des vibrations d’ailes emmenaient loin, très loin. Dans une cathédrale païenne où les souffleurs devenaient tuyaux d’orgue et retrouvaient l’ampleur des grands-messes. Sirènes et cornes de brume ramenaient au port, l’ambiance changeait, les rythmes bretons accompagnaient les binious. Mais ne s’installaient pas, passaient juste, en laissant l’auditeur libre de son voyage intérieur.

La musique existait avant l’entrée du public. Elle s’arrête brusquement au bout d’une cinquantaine de minutes, ramenant soudain l’auditeur dans la froideur de cette soirée. Et libérant les musiciens de cet exercice très physique et assez éprouvant pour eux. Soirée exceptionnelle dans un lieu exceptionnel. Erwan Keravec, collaborateur de la Scène nationale depuis longtemps, travaille dans le son en tant qu’expérience. Il a personnalisé cette version de In C, a fait vivre magnifiquement cette musique imaginée il y 60 ans par le Californien fondateur de musiques nouvelles.

In C reste totalement nouveau, puisque Keravec l’a réincarnée.

Magcentre, Bernard Cassat, mai 23

A Lorient, ces 20 sonneurs nous ont fait tourner la tête !

55 minutes d'envoûtement. Mardi 6 juin 2023, sur le parvis du Grand Théâtre de Lorient, 20 sonneurs (cornemuses, binious, bombardes, veuzes...), menés par le compositeur, arrangeur et sonneur de cornemuse Erwan Keravec, ont conféré un souffle original à "In C" de Terry Riley, pièce fondatrice du courant minimaliste américain.
Une expérience immersive

Perchés sur des estrades, les 20 solistes forment un cercle immense intégrant en son cœur le public. Public qui ne sait plus où donner de la tête et des oreilles, ni où se positionner. Sous un soleil rasant agréable en ce début de soirée, certains s'assoient, d'autres ferment les yeux, se baladent dans et hors du cercle, avant de se placer au coeur du maelstrom, pris dans le tourbillon.
L'expérience immersive a une puissance hypnotique provoquée par le souffle continu de la cornemuse et la répétition des 53 motifs de longueurs différentes qui sont joués par tous les interprètes, impressionnants de concentration, de maîtrise.
La pièce lancinante, déjà jouée au TNB à Rennes ou au CentQuatre à Paris, a étonné, bluffé les spectateurs.

Ouest-France, Nadine Boursier, juin 23

… il y a eu hier soir, sous la verrière des SUBS, la joie rare de retrouver la circularité naturelle – et l'alchimie aussi complexe que fluide – du temps, du son, de l'écoute, et de l'énergie que peut créer et transmettre une communauté sensible improvisée, trouvant immédiatement, à l'instinct, son modus vivendi.
Circularité dessinée, réactivée dans l'espace comme dans les âmes et consciences, par la beauté aiguë des motifs en spirale du "In C" de Terry Riley, revisité par Erwan Keravec et ses 20 sonneurs.
Où l'on a compris que le génie de la pièce imaginée par Terry Riley ne réside pas seulement dans cet emboîtement de motifs qui la conçoit et la transforme tour à tour en masse écumante, en déferlement marin, en nuée grésillante d'insectes nocturnes, en chant tombé du cosmos ou remonté des tréfonds de la terre, et en bien d'autres phénomènes encore, ni dans la combinatoire sonore et poétique spontanée qui en découle.
Où l'on a compris que ce génie ne se révèle pas uniquement par l'intensité d'engagement des musiciens, pourtant sidérants hier soir dans leur capacité de se percher sur la ligne de crête entre précision et liberté.
Où l'on a compris que ce génie se traduit aussi par la savante et sensuelle géométrie dans l'espace qu'elle génère chez celles et ceux qui la reçoivent – géométrie se jouant autant dans les espaces du dedans que dans ceux du dehors.
Il fallait voir la variété d'approches que les personnes présentes hier soir sous la verrière ont déployé lors de cette expérience partagée, toutes singulières, toutes dictées intimement par la seule subjectivité à l'œuvre – qui pleurant, qui souriant aux anges, qui statufié dans une transe immobile, qui rêvant dans le poste de garde et sous la veilleuse de son intellect, qui s'ébrouant sans limites dans la seule dimension du sensible, qui alternant ou superposant l'une et l'autre de ces situations, qui se balançant, qui ondulant, qui ne faisant plus qu'une entité en se fondant avec sa voisine ou son voisin, qui fermant les yeux, qui le regard fixé au grand lointain, qui déambulant comme au milieu d'un champ de forces magnétiques, qui bavardant un verre à la main, qui s'éloignant du cercle pour mieux y revenir, qui un peu dehors, qui complètement dedans.
Autant de figures qui, comme dans celles qu'enchevêtre et harmonise "In C" par la grâce du hasard et du soin apporté à la parole et à l'écoute, tissent quasi instantanément une trame commune, cohérente – en un mot : viable, car respectueuse de l'un comme du multiple.
Un authentique réseau social, si l'on veut – et l'on veut bien – redonner aux mots un sens et un usage qui, même dans le périmètre éphémère d'un soir, pourraient enfin trouver quelque effet de concordance avec le réel.
Comme dans "In C", chacune et chacun sous la verrière, hier, jouait sa propre et unique partition, sans rien abdiquer de sa singularité de perception ; et chacune et chacun, ce faisant, participait à un véritable sens commun, à une forme inopinée et logique de consensus, sans s'astreindre pour autant à une quelconque obligation de mimétisme ou d'uniformité. L'union par le multiple, oui – ça sonne naïf, ça prêtera peut-être à sourire ou à rire, mais hier c'était une réalité à la fois très tangible, très profonde et très légère.

Au goût du jour de l'Opéra Underground et des SUBS [#83], Richard Robert, sept. 22