Le joueur de cornemuse écossaise se nomme sonneur, mot noble et beau qui donne son titre à cet album aux allures d’astre noir, incomparable à rien de ce qui se produit ordinairement. Si on pense parfois au gagaku japonais pour les micro-tons, à Ascension de Coltrane et à l’avant-garde russe pour l’élévation des stridences et la fureur d’idéal, aucune de ces réminiscences ne parvient à rattacher à la terre cette œuvre irrémédiablement solitaire par la puissance et la singularité. Quand, à l’appel d’Erwan Keravec, cornemuse, biniou, bombarde et trélombarde sonnent, les murs s’effondrent et les âmes frémissent, sentant l’approche si exaltante, si rare, de l’inconnu.
Les Inrocks, mai 2017
« Pour Urban Pipes, en 2007, j’avais affiché mon ambition : imaginer une musique pour cornemuse qui n’évoque pas son origine culturelle. Afin que l’instrument puisse être écouté autrement que comme vecteur de son origine, qu’il puisse aussi véhiculer une autre pensée. Après treize premières pièces en musique contemporaine : neuf pièces en solo (Nu Piping #1) puis quatre autres dédiées à un trio pour cornemuse et voix (VOX, Nu Piping#2), j’ai souhaité voir s’il est possible d’étendre mon ambition au-delà de mon instrument. C’est à dire, est-ce qu’il est possible de modifier l’origine culturelle ?
Pour cela, j’ai constitué un quatuor avec les quatre instruments de la tradition sonnée en Bretagne : la bombarde et le biniou koz, les deux instruments historiques ; la cornemuse écossaise devenue bretonne depuis un siècle ; et la trélombarde inventée dans les bagadou pour faire le contre-chant à la bombarde et la cornemuse. Ce quatuor est « culturé » et propose un son brut, un timbre riche, le son continu du biniou et la cornemuse, une présence resserrée dans le spectre sonore et, bien sûr, un son puissant.
De ces quatre instruments, seule la cornemuse écossaise a un répertoire en musique contemporaine en grande partie grâce à Nu Piping. Pour les trois autres instruments, SONNEURS sera le début d’un rapport à cette écriture contemporaine. Qui a déjà entendu un biniou koz ne doute pas de l’originalité de cet instrument dans cette esthétique musicale, mais la bombarde et la trélombarde ne sont pas en reste. La bombarde est souvent appelée « l’ancêtre du hautbois », mais cette filiation peut être une proximité trompeuse tant leurs timbres et leurs impacts sont différents. Ces trois instruments méritent tout autant que la cornemuse une attention des compositeurs.
Bien qu’inexistant dans la tradition sonnée, ce quatuor symbolise, pour moi, la matière traditionnelle que j’ai proposée à Wolfgang Mitterer. L’envie de lui confier cette forme n’est pas anodine. Wolfgang est organiste et compositeur autrichien. Il a cette double pratique de l’instrumentiste et de l’écriture qui permet la composition « dans les doigts » liée à la pratique instrumentale et la composition « à la table » avec une exigence remarquable dans les deux. La culture de l’orgue fait aussi de Wolfgang un improvisateur brillant. Il investit donc les 3 domaines qui me tiennent à coeur : l’instrument, l’improvisation et l’écriture. L’écriture de Wolfgang utilise une énergie foisonnante et une finesse du frottement qui trouvera ici un beau terrain de jeu.
Parce que c’est amusant… Deux des formes reines de la musique classique sont le quatuor à cordes et celui à vent. Aujourd’hui, grâce à ce troisième volet de Nu-Piping, la musique classique se dote d’un nouveau quatuor : le quatuor de sonneurs. Et qui sait, peut-être que cette formation entrera dans la tradition classique occidentale. »