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IN C // 20 SONNEURS

Tube intersidéral de la musique minimaliste américaine, In C a été composé en 1964 par Terry Riley comme un pied de nez aux compositions savantes de l’époque.

Cette variation polyphonique constituée de plusieurs modules répétés autour de la note do peut être jouée par n’importe quel nombre et type d’instruments. Le sonneur de cornemuse, compositeur et improvisateur Erwan Keravec s’en empare en réunissant autour de lui vingt musiciens, sonneurs de cornemuses et bombardes.

 

L'année dernière j'écrivais : " L'interprétation de la pièce In C de Terry Riley au 104 par vingt sonneurs sous la houlette d'Erwan Keravec fut absolument vertigineuse. Les musiciens perchés sur des estrades entouraient le public médusé. Certains avaient fini par s'asseoir en tailleur, d'autres tournaient autour, à l'intérieur ou à l'extérieur du cercle, comme si la nef était un stūpa. Il abritait en effet une relique, puisque In C, composée en 1964, est considérée comme la première œuvre du courant minimaliste américain que nous appelions alors répétitif. J'en connaissais une bonne vingtaine d'interprétations, mais celle-ci fut particulièrement magique, sorte de monstre tellurique où les bombardes aiguës, les cornemuses, les bombardes barytons créées pour l'occasion, les sirènes varésiennes enveloppaient les spectateurs hypnotisés par ce bagad aux accents contemporains...".

Aujourd'hui l'enregistrement, pourtant réduit à la stéréophonie du CD, garde sa monstrueuse puissance. Cela s'écoute le plus fort possible, le plus fort que vous puissiez le supporter. Oubliez les voisins ! Pendant un peu moins d'une heure les murs de Jéricho trembleront. Et ça tourne, ça tourne entre les haut-parleurs gauche et droit, rebondissant sur les murs qui leur font face et du sol au plafond.
Les bombardes (trois sopranos en ut et si bémol, une soprano en sol, deux ténors en si bémol et quatre barytons en sol) sont placées en alternance avec les cornemuses (trois binious en sol, cinq cornemuses en do, une cornemuse en sol et une veuze en sol). Ajoutez quatre sirènes d'alerte à main au milieu de la pièce pour accentuer le chaos et deux foulées de pas qui viennent percuter les planchers des estrades où sont juchés les 20 extraordinaires sonneurs qui ont participé à cette aventure. Je devrais les citer toutes et tous, mais je nommerai seulement ici Julien Desprez qui endossa le rôle de conseiller artistique, les luthiers Tudal Hervieux et Jorj Botuha qui fabriquèrent la bombarde baryton en sol et les chanters pour cornemuse en do, ainsi que l'ingénieur du son Manu Le Duigou qui fait là une prouesse. Pareil aux meilleures pièces répétitives, on sort de l'écoute comme d'un voyage en pays lointain, rincé, éberlué, rafraîchi, différent, jamais indemne. On ne résiste pas à la tempête. Il n'y a qu'à se laisser porter par les vagues, chevaucher le son comme s'il venait de vous et que vous l'offriez à l'univers. Lorsque la musique s'arrête, vous serez surpris d'entendre les bruits du monde autour de vous avec une acuité inattendue.

Jean-Jacques Birgé, Blog Médiapart